À Montréal-Nord, une intervenante sociale a fondé un foyer d'hébergement pour demandeurs d’asile, sans aucune aide de l'État. Dans une autre vie, Kicha Estimé travaillait au Centre de surveillance de l'immigration de Laval. Une prison pour migrants.
Dans une autre vie, Kicha Estimé travaillait au Centre de surveillance de l'immigration de Laval. Une prison pour migrants. Elle accompagnait les nouveaux arrivants dans leurs démarches administratives ou les aidait à accéder à des services sociaux. Mais cette intervenante travailsociale avait l'impression qu'elle pouvait en faire plus. Le milieu de détention n'était pas vraiment sa place, raconte-t-elle, parce que la plupart de ces gens souffrent et ont besoin de quelqu'un pour leur dire comment mieux vivre à l'étranger. À l’époque, elle terminait ses journées sur un constat amer : lorsque les demandeurs d’asile sont libérés, bien souvent, ils n’ont nulle part où aller. C’est ainsi qu’a germé l’idée de créer un foyer à dimension humaine dans Montréal-Nord, son quartier d'origine et véritable point de chute pour les nouveaux arrivants. Moi, aider les gens, c'est ma passion, je mets toujours mon nez là où il ne faut pas, lance-t-elle dans un éclat de rire chaleureux et communicatif.
Après quelques mois de démarches, elle a finalement trouvé un local grâce au Diocèse de Montréal, qui lui loue un ancien presbytère où peuvent loger une trentaine de personnes.
Le Centre d’hébergement Latraverse a ouvert ses portes il y a presque trois ans. Au cours de la dernière année, il a accueilli près de 300 personnes. Des femmes, des hommes, des familles. Certains pour quelques jours, d'autres pour plusieurs mois. En plus de trouver un toit, ils bénéficient d’une cuisine communautaire, d’une salle de lavage, d’un accès à Internet, de conseils pour remplir les documents. Lors de notre passage, nous croisons une infirmière du CLSC qui vient faire une visite de routine sur son temps libre. En attendant de recevoir l’aide sociale, les demandeurs d’asile reçoivent de quoi manger, de quoi se vêtir et bien d’autres choses, comme de la chaleur humaine.
C’est ce que nous raconte Mirlande, qui est installée dans une petite chambre depuis quelques semaines avec ses enfants, des triplés de quatre mois. Elle a quitté Haïti en urgence à cause de sa grossesse difficile. Arrivée par le chemin Roxham, elle a ensuite accouché sous haute surveillance dans un hôpital pédiatrique de Montréal. Sans famille au Canada, ne sachant pas où aller, elle a posé ses valises ici en attendant des nouvelles de sa demande d’asile. La voix tordue par l’émotion, elle nous confie que la solitude lui pèse et que l'absence de son mari, resté au pays, creuse un grand vide. Mais je suis bien accueillie, raconte la jeune mère de famille, madame Kicha a tout fait pour moi, c'est une très bonne personne.
Dans la cuisine, Sarah sert le repas à ses trois jeunes enfants. Elle aussi ne tarit pas d'éloges sur l'accueil très chaleureux. Originaire de l’Angola, cette demandeuse d’asile est passée par un hôtel réquisitionné par le gouvernement fédéral, puis par un hébergement du YMCA. Dans un français parfait (elle a des parents congolais), elle nous explique qu’après deux mois dans les accueils d’urgence, on lui a fait comprendre qu’elle devait laisser la place aux suivants. Malgré ses recherches, elle ne trouvait pas de logement abordable. Une travailleuse sociale l'a dirigée vers le Centre Latraverse, qui est devenu sa bouée de sauvetage.
Kicha Estimé peut compter sur un réseau de bénévoles dévoués, sans qui rien ne serait possible. Des voisins, d’autres travailleurs communautaires, des parents, tout son petit monde donne un coup de main. Même les pompiers du quartier qui ont débarqué quelques jours avant Noël avec un camion plein de nourriture. Son mari, Edmond, n'a pas hésité une seconde à la soutenir dans ce projet un peu fou : Avec elle, on va aller très loin. Tout le monde l'aime. Tout le monde l'appelle maman. Tout le monde l'appelle mère Teresa. Moi aussi, je l'appelle mère Teresa.
Son frère Woodmy, bricoleur de la première heure, s’occupe de l’entretien, en plus de mener une carrière dans la construction et le cinéma. Il y a toujours une porte à réparer, une ampoule à changer ou du matériel à déplacer. Il passe faire un tour environ cinq jours par semaine. Il vient parfois accompagné de ses propres enfants qui aident les jeunes résidents à s’intégrer et à apprendre le français. Espagnol, créole, anglais, portugais, lingala et bien d’autres langues résonnent au Centre Latraverse.
Kicha Estimé a investi ses économies personnelles dans ce projet. Elle demande un petit montant à ses résidents dès qu’ils reçoivent l'aide sociale. 580 $ par mois pour les personnes seules, 390 $ pour les familles. Pour le moment, avec les dons, ces contributions suffisent à tenir son organisme à flot, mais les fins de mois ne sont pas toujours faciles. Après avoir fait des demandes de subventions auprès d'organismes publics, elle espère un coup de pouce de l'État.
L'importance de nos actions ne cesse personne indifférente. Nos bénéficiaires, les autorités et les bénévoles ne peuvent pas se tairent.
C’est donc avec grand plaisir que j’aimerais rendre hommage ici à l’une de ces personnes dont les actions améliorent des vies : Mme Kicha Estimée.
Vivement les femmes, une Entrevue en profondeur pour faire briller les femmes d’ici et d’ailleurs et entre autres les femmes issues de la diversité.
« La vie n’est pas facile. Il faut toujours lutter », assise sur un lit dans une chambre du deuxième étage de La Traverse.
Originaire d'Haïti, elle a dû traverser 10 pays avec ses deux enfants âgés de deux et quatre ans avant de demander l'asile au Canada.